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tout ça dans les champs, pour voir s’il en poussera d’autres !… Hein ? les camarades, qu’est-ce qu’ils diraient, ceux-là, si, à cette heure que nous les tenons dans un petit coin, nous les jetions à leur tour sur la voie ?… Ça y est-il, hein ? faut un exemple, pour qu’on ne nous embête plus avec cette sale guerre ! À mort les punaises à Badinguet ! à mort les salauds qui veulent qu’on se batte !

Jean était devenu très rouge, sous le flot du sang de colère qui parfois lui montait au visage, dans ses rares coups de passion. Bien qu’il fût serré par ses voisins comme dans un étau vivant, il se leva, avança ses poings tendus et sa face enflammée, d’un air si terrible, que l’autre blêmit.

— Tonnerre de Dieu ! veux-tu te taire à la fin, cochon !… Voilà des heures que je ne dis rien, puisqu’il n’y a plus de chefs et que je ne puis seulement pas vous faire coller au bloc. Bien sûr, oui ! j’aurais rendu un fier service au régiment, en le débarrassant d’une fichue crapule de ton espèce… Mais écoute, du moment où les punitions sont de la blague, c’est à moi que tu auras affaire. Il n’y a plus de caporal, il y a un bon bougre que tu embêtes et qui va te fermer le bec… Ah ! sacré lâche, tu ne veux pas te battre et tu cherches à empêcher les autres de se battre ! Répète un peu voir, que je cogne !

Déjà, tout le wagon, retourné, soulevé par la belle crânerie de Jean, abandonnait Chouteau, qui bégayait, reculant devant les gros poings de son adversaire.

— Et je me fiche de Badinguet, comme de toi, entends-tu ?… Moi, la politique, la République ou l’Empire, je m’en suis toujours fichu ; et, aujourd’hui comme autrefois, lorsque je cultivais mon champ, je n’ai jamais désiré qu’une chose, c’est le bonheur de tous, le bon ordre, les bonnes affaires… Certainement que ça embête tout le monde, de se battre. Mais ça n’empêche qu’on devrait les