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— Écoute, dit-il tout bas à Jean, qui marchait près de lui, nous allons attendre de passer le long d’un bois, et d’un saut nous filerons parmi les arbres… La frontière belge n’est pas loin, nous trouverons bien quelqu’un pour nous y conduire.

Jean eut un frémissement, d’esprit plus net et plus froid, malgré la révolte qui finissait par le faire rêver aussi d’évasion.

— Es-tu fou ! ils tireront, nous y resterons tous les deux.

Mais, d’un geste, Maurice disait qu’il y avait des chances pour qu’on les manquât, et puis, après tout, que, s’ils y restaient, ce serait tant pis !

— Bon ! continua Jean, mais qu’est-ce que nous deviendrons, ensuite, avec nos uniformes ? Tu vois bien que la campagne est pleine de postes prussiens. Il faudrait au moins d’autres vêtements… C’est trop dangereux, mon petit, jamais je ne te laisserai faire une pareille folie.

Et il dut le retenir, il lui avait pris le bras, il le serrait contre lui, comme s’ils se fussent soutenus mutuellement, pendant qu’il continuait à le calmer, de son air bourru et tendre.

Derrière leur dos, à ce moment, des voix chuchotantes leur firent tourner la tête. C’étaient Chouteau et Loubet, partis le matin, en même temps qu’eux, de la presqu’île d’Iges, et qu’ils avaient évités jusque-là. Maintenant, les deux gaillards marchaient sur leurs talons. Chouteau devait avoir entendu les paroles de Maurice, son plan de fuite au travers d’un taillis, car il le reprenait pour son compte. Il murmurait dans leur cou :

— Dites donc, nous en sommes. C’est une riche idée, de foutre le camp. Déjà, des camarades sont partis, nous n’allons bien sûr pas nous laisser traîner comme des chiens jusque dans le pays à ces cochons… Hein ? à nous quatre, ça va-t-il, de prendre un courant d’air ?