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geait qu’à leur sottise, de n’avoir pas emporté chacun un pain. Dans l’effarement de leur départ, ils s’en étaient même allés à jeun ; et la faim, une fois encore, leur cassait les jambes. D’autres prisonniers devaient être dans le même cas, car plusieurs tendaient de l’argent, suppliaient qu’on leur vendît quelque chose. Il y en avait un, très grand, l’air très malade, qui agitait une pièce d’or, l’offrant au bout de son long bras, par-dessus la tête des soldats de l’escorte, avec le désespoir de ne rien trouver à acheter. Et ce fut alors que Jean, qui guettait, aperçut de loin, devant une boulangerie, une douzaine de pains en tas. Tout de suite, avant les autres, il jeta cent sous, voulut prendre deux de ces pains. Puis, comme le Prussien qui se trouvait près de lui, le repoussait brutalement, il s’entêta à ramasser au moins sa pièce. Mais, déjà, le capitaine, auquel la surveillance de la colonne était confiée, un petit chauve, de figure insolente, accourait. Il leva sur Jean la crosse de son revolver, il jura qu’il fendrait la tête au premier qui oserait bouger. Et tous avaient plié les épaules, baissé les yeux, tandis que la marche continuait, avec le sourd roulement des pieds, dans cette soumission frémissante du troupeau.

— Oh ! le gifler, celui-là ! murmura ardemment Maurice, le gifler, lui casser les dents d’un revers de main !

Dès lors, la vue de ce capitaine, de cette méprisante figure à gifles, lui devint insupportable. D’ailleurs, on entrait dans Sedan, on passait sur le pont de Meuse ; et les scènes de brutalité se renouvelaient, se multipliaient. Une femme, une mère sans doute, qui voulait embrasser un sergent tout jeune, venait d’être écartée d’un coup de crosse, si violemment, qu’elle en était tombée à terre. Sur la place Turenne, ce furent des bourgeois qu’on bouscula, parce qu’ils jetaient des provisions aux prisonniers. Dans la Grande-Rue, un de ceux-ci, ayant glissé en prenant une bouteille qu’une dame lui offrait, fut