nuit d’épouvantement, durant laquelle ils ne purent fermer les yeux. D’autres soldats emplissaient la cave, deux étaient allongés dans le même coin, qui se mouraient, vidés par la dysenterie ; et, dès que l’obscurité fut complète, ils ne cessèrent plus, des plaintes sourdes, des cris inarticulés, une agonie dont le râle allait en grandissant. Au fond des ténèbres, ce râle prenait une telle abomination, que les autres hommes couchés à côté, voulant dormir, se fâchaient, criaient aux mourants de se taire. Ceux-ci n’entendaient pas, le râle continuait, revenait, emportait tout ; pendant que, du dehors, arrivait la clameur d’ivresse des camarades qui mangeaient encore, sans pouvoir se rassasier.
Alors, la détresse commença pour Maurice. Il avait tâché de fuir cette plainte d’horrible douleur qui lui mettait à la peau une sueur d’angoisse ; mais, comme il se levait, à tâtons, il avait marché sur des membres, il était retombé par terre, muré avec ces mourants. Et il n’essayait même plus de s’échapper. Tout l’effroyable désastre s’évoquait, depuis le départ de Reims, jusqu’à l’écrasement de Sedan. Il lui semblait que la passion de l’armée de Châlons s’achevait seulement cette nuit-là, dans la nuit d’encre de cette cave, où râlaient deux soldats, qui empêchaient les camarades de dormir. L’armée de la désespérance, le troupeau expiatoire, envoyé en holocauste, avait payé les fautes de tous du flot rouge de son sang, à chacune de ses stations. Et, maintenant, égorgée sans gloire, couverte de crachats, elle tombait au martyre, sous ce châtiment qu’elle n’avait pas mérité si rude. C’était trop, il en était soulevé de colère, affamé de justice, dans un besoin brûlant de se venger du destin.
Lorsque l’aube parut, l’un des soldats était mort, l’autre râlait toujours.
— Allons, viens, mon petit, dit Jean avec douceur. Nous allons prendre l’air, ça vaudra mieux.