firent courir Jean devant le hangar, où les distributions étaient censées avoir lieu. Mais, les deux fois, il ne reçut que des coups de coude, dans la bousculade. Les Prussiens, si remarquablement organisés, continuaient à montrer une incurie brutale à l’égard de l’armée vaincue. Sur les réclamations des généraux Douay et Lebrun, ils avaient bien fait amener quelques moutons, ainsi que des voitures de pains ; seulement, les précautions étaient si mal prises, que les moutons se trouvaient enlevés, les voitures pillées, dès le pont, de sorte que les troupes campées à plus de cent mètres, ne recevaient toujours rien. Il n’y avait guère que les rôdeurs, les détrousseurs de convois, qui mangeaient. Aussi Jean, comprenant le truc, comme il disait, finit-il par amener Maurice près du pont, pour guetter eux aussi la nourriture.
Il était quatre heures déjà, ils n’avaient rien mangé encore, par ce beau jeudi ensoleillé, lorsqu’ils eurent la joie, tout d’un coup, d’apercevoir Delaherche. Quelques bourgeois de Sedan obtenaient ainsi, à grand’peine, l’autorisation d’aller voir les prisonniers, auxquels ils portaient des provisions ; et Maurice, plusieurs fois déjà, avait dit sa surprise de n’avoir aucune nouvelle de sa sœur. Dès qu’ils reconnurent de loin Delaherche, chargé d’un panier, ayant un pain sous chaque bras, ils se ruèrent ; mais ils arrivèrent encore trop tard, une telle poussée s’était produite, que le panier et un des pains venaient d’y rester, enlevés, disparus, sans que le fabricant de drap eût pu lui-même se rendre compte de cet arrachement.
— Ah ! mes pauvres amis ! balbutia-t-il, stupéfait, bouleversé, lui qui arrivait le sourire aux lèvres, l’air bonhomme et pas fier, dans son désir de popularité.
Jean s’était emparé du dernier pain, le défendait ; et, tandis que Maurice et lui, assis au bord de la route, le dévoraient à grosses bouchées, Delaherche donnait des