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inutile. La veille encore, on payait un biscuit deux francs, une bouteille de vin sept francs, un petit verre d’eau-de-vie vingt sous, une pipe de tabac dix sous. Et, maintenant, des officiers devaient garder la maison du général, ainsi que les masures voisines, le sabre au poing, car de continuelles bandes de rôdeurs enfonçaient les portes, volaient jusqu’à l’huile des lampes pour la boire.

Trois zouaves appelèrent Maurice et Jean. À cinq, on ferait de la besogne.

— Venez donc… Y a des chevaux qui claquent, et si on avait seulement du bois sec…

Puis, ils se ruèrent sur une maison de paysan, cassèrent les portes des armoires, arrachèrent le chaume de la toiture. Des officiers qui arrivaient au pas de course, en les menaçant de leurs revolvers, les mirent en fuite.

Jean, quand il vit les quelques habitants restés à Iges aussi misérables et affamés que les soldats, regretta d’avoir dédaigné la farine, au moulin.

— Faut retourner, peut-être qu’il y en a encore.

Mais Maurice commençait à être si las, si épuisé d’inanition, que Jean le laissa dans un trou des carrières, assis sur une roche, en face du large horizon de Sedan. Lui, après une queue de trois quarts d’heure, revint enfin avec un torchon plein de farine. Et ils ne trouvèrent rien autre chose que de la manger ainsi, à poignées. Ce n’était pas mauvais, ça ne sentait rien, un goût fade de pâte. Pourtant, ce déjeuner les réconforta un peu. Ils eurent même la chance de trouver, dans la roche, un réservoir naturel d’eau de pluie, assez pure, auquel ils se désaltérèrent avec délices.

Puis, comme Jean proposait de rester là l’après-midi, Maurice eut un geste violent.

— Non, non, pas là !… J’en tomberais malade, d’avoir ça longtemps sous les yeux…

De sa main tremblante, il indiquait l’horizon immense,