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des autres, ils ne sont pas assez gentils, qu’ils se débrouillent !

En effet, Loubet et Chouteau le révoltaient par leur égoïsme sournois, volant ce qu’ils pouvaient, ne partageant jamais avec les camarades ; de même qu’il n’y avait rien à tirer de bon de Lapoulle, la brute, ni de Pache, le cafard.

Tous les deux donc, Jean et Maurice, s’en allèrent par le chemin que ce dernier avait suivi déjà, le long de la Meuse. Le parc de la Tour à Glaire et la maison d’habitation étaient dévastés, pillés, les pelouses ravinées comme par un orage, les arbres abattus, les bâtiments envahis. Une foule en guenilles, des soldats couverts de boue, les joues creuses, les yeux luisants de fièvre, y campaient en bohémiens, vivaient en loups dans les chambres souillées, n’osant sortir, de peur de perdre leur place pour la nuit. Et, plus loin, sur les pentes, ils traversèrent la cavalerie et l’artillerie, si correctes jusque-là, déchues elles aussi, se désorganisant sous cette torture de la faim, qui affolait les chevaux et jetait les hommes à travers champs, en bandes dévastatrices. À droite, ils virent, devant le moulin, une queue interminable d’artilleurs et de chasseurs d’Afrique défilant avec lenteur : le meunier leur vendait de la farine, deux poignées dans leur mouchoir pour un franc. Mais la crainte de trop attendre les fit passer outre, avec l’espoir de trouver mieux, dans le village d’Iges ; et ce fut une consternation, lorsqu’ils l’eurent visité, nu et morne, pareil à un village d’Algérie, après un passage de sauterelles : plus une miette de vivres, ni pain, ni légumes, ni viande, les misérables maisons comme raclées avec les ongles. On disait que le général Lebrun était descendu chez le maire. Vainement, il s’était efforcé d’organiser un service de bons, payables après la campagne, de façon à faciliter l’approvisionnement des troupes. Il n’y avait plus rien, l’argent devenait