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la courte lutte d’un corps qui coule à pic. Sans doute quelque malheureux qui venait de recevoir une balle en pleine poitrine, comme il tentait de se sauver, en passant la Meuse à la nage.

Le lendemain, dès le lever du soleil, Maurice fut debout. Le ciel restait clair, il avait une hâte de rejoindre Jean et les camarades de la compagnie. Un instant, il eut l’idée de fouiller de nouveau l’intérieur de la presqu’île ; puis, il résolut d’en achever le tour. Et, comme il se retrouvait au bord du canal, il aperçut les débris du 106e, un millier d’hommes campés sur la berge, que protégeait seule une file maigre de peupliers. La veille, s’il avait tourné à gauche, au lieu de marcher droit devant lui, il aurait rattrapé tout de suite son régiment. Presque tous les régiments de ligne s’étaient entassés là, le long de cette berge qui va de la Tour à Glaire au château de Villette, une autre propriété bourgeoise, entourée de quelques masures, du côté de Donchery ; tous bivouaquaient près du pont, près de l’issue unique, dans cet instinct de la liberté qui fait s’écraser les grands troupeaux, au seuil des bergeries, contre la porte.

Jean eut un cri de joie.

— Ah ! c’est toi enfin ! je t’ai cru dans la rivière !

Il était là, avec ce qui restait de l’escouade, Pache et Lapoulle, Loubet et Chouteau. Ceux-ci, après avoir dormi sous une porte de Sedan, s’étaient trouvés réunis de nouveau par le grand coup de balai. Dans la compagnie, d’ailleurs, ils n’avaient plus d’autre chef que le caporal, la mort ayant fauché le sergent Sapin, le lieutenant Rochas et le capitaine Beaudoin. Et, bien que les vainqueurs eussent aboli les grades, en décidant que les prisonniers ne devaient obéissance qu’aux officiers allemands, tous les quatre ne s’en étaient pas moins serrés autour de lui, le sachant prudent et expérimenté, bon à suivre dans les circonstances difficiles. Aussi, ce matin-là, la concorde et