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— Oh ! mon ami, sanglota Silvine, mon ami…

Elle était tombée à genoux, sur la terre détrempée, les mains jointes, dans un élan de folle douleur. Ce mot d’ami, qu’elle trouvait seul, disait la tendresse qu’elle venait de perdre, cet homme si bon qui lui avait pardonné, qui consentait à faire d’elle sa femme, malgré tout. Maintenant, c’était la fin de son espoir, elle ne vivrait plus. Jamais elle n’en avait aimé un autre, et elle l’aimerait toujours. La pluie cessait, un vol de corbeaux qui tournoyait en croassant au-dessus des trois arbres, l’inquiétait comme une menace. Est-ce qu’on voulait le lui reprendre, ce cher mort si péniblement retrouvé ? Elle s’était traînée sur les genoux, elle chassait, d’une main tremblante, les mouches voraces bourdonnant au-dessus des deux yeux grands ouverts, dont elle cherchait encore le regard.

Mais, entre les doigts crispés d’Honoré, elle aperçut un papier, taché de sang. Alors, elle s’inquiéta, tâcha d’avoir ce papier, à petites secousses. Le mort ne voulait pas le rendre, le retenait, si étroitement, qu’on ne l’aurait arraché qu’en morceaux. C’était la lettre qu’elle lui avait écrite, la lettre gardée par lui entre sa peau et sa chemise, serrée ainsi comme pour un adieu, dans la convulsion dernière de l’agonie. Et, lorsqu’elle l’eut reconnue, elle fut pénétrée d’une joie profonde, au milieu de sa douleur, toute bouleversée de voir qu’il était mort en pensant à elle. Ah ! certes, oui ! elle la lui laisserait, la chère lettre ! elle ne la reprendrait pas, puisqu’il tenait si obstinément à l’emporter dans la terre. Une nouvelle crise de larmes la soulagea, des larmes tièdes et douces maintenant. Elle s’était relevée, elle lui baisait les mains, elle lui baisa le front, en ne répétant toujours que ce mot d’infinie caresse :

— Mon ami…, mon ami…

Cependant, le soleil baissait, Prosper était allé chercher la couverture. Et tous deux, avec une pieuse lenteur,