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soleil apparut un instant, déjà bas sur l’horizon. Est-ce que la nuit allait tomber et les surprendre, dans ce charnier sans fin ? Une nouvelle averse noya le soleil, il ne resta autour d’eux que l’infini blafard de la pluie, une poussière d’eau qui effaçait tout, les routes, les champs, les arbres. Lui, ne savait plus, était perdu, et il l’avoua. À leur suite, l’âne trottait du même train, la tête basse, traînant la petite charrette de son pas résigné de bête docile. Ils montèrent au nord, ils revinrent vers Sedan. Toute direction leur échappait, ils rebroussèrent chemin à deux reprises, en s’apercevant qu’ils passaient par les mêmes endroits. Sans doute ils tournaient en cercle, et ils finirent, désespérés, épuisés, par s’arrêter à l’angle de trois routes, flagellés de pluie, sans force pour chercher davantage.

Mais des plaintes les surprirent, ils poussèrent jusqu’à une petite maison isolée, sur leur gauche, où ils trouvèrent deux blessés, au fond d’une chambre. Les portes étaient grandes ouvertes ; et, depuis deux jours qu’ils grelottaient la fièvre, sans être pansés seulement, ceux-ci n’avaient vu personne, pas une âme. La soif surtout les dévorait, au milieu du ruissellement des averses qui battaient les vitres. Ils ne pouvaient bouger, ils jetèrent tout de suite le cri : « À boire, à boire ! » ce cri d’avidité douloureuse, dont les blessés poursuivent les passants, au moindre bruit de pas qui les tire de leur somnolence.

Lorsque Silvine leur eut apporté de l’eau, Prosper qui, dans le plus maltraité, avait reconnu un camarade, un chasseur d’Afrique de son régiment, comprit qu’on ne devait pourtant pas être loin des terrains où la division Margueritte avait chargé. Le blessé finit par avoir un geste vague : oui, c’était par là, en tournant à gauche, après avoir passé un grand champ de luzerne. Et, sans attendre, Silvine voulut repartir, avec ce renseignement. Elle venait d’appeler, au secours des deux blessés, une équipe qui