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— Oui, c’est moi. J’en ai assez de me battre pour rien, et j’ai filé… Dites donc, père Fouchard, vous n’avez pas besoin d’un garçon de ferme ?

Le vieux, du coup, avait retrouvé toute sa prudence. Justement, il cherchait quelqu’un. Mais c’était inutile à dire.

— Un garçon, ma foi, non ! pas dans ce moment… Entre tout de même boire un verre. Je ne vais pas, bien sûr, te laisser en peine sur la route.

Dans la salle, Silvine mettait la soupe au feu, tandis que le petit Charlot se pendait à ses jupes, jouant et riant. D’abord, elle ne reconnut pas Prosper, qui pourtant avait déjà servi avec elle, autrefois ; et ce ne fut qu’en apportant deux verres et une bouteille de vin, qu’elle le dévisagea. Elle eut un cri, elle ne pensa qu’à Honoré.

— Ah ! vous en venez, n’est-ce pas ?… Est-ce qu’Honoré va bien ?

Prosper allait répondre, ensuite il hésita. Depuis deux jours, il vivait dans un rêve, parmi une violente succession de choses vagues, qui ne lui laissaient aucun souvenir précis. Sans doute, il croyait bien avoir vu Honoré mort, renversé sur un canon ; mais il ne l’aurait plus affirmé ; et à quoi bon désoler le monde, quand on n’est pas certain ?

— Honoré, murmura-t-il, je ne sais pas…, je ne puis pas dire…

Elle le regardait fixement, elle insista.

— Alors, vous ne l’avez pas vu ?

D’un geste lent, il agita les mains, avec un hochement de tête.

— Si vous croyez qu’on peut savoir ! Il y a eu tant de choses, tant de choses ! De toute cette sacrée bataille, tenez ! Je ne serais pas fichu d’en conter long comme ça… Non ! pas même les endroits par où j’ai passé… On est comme des idiots, ma parole !