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s’anima bientôt. On était délabré, on avait très faim, comment ne pas se réjouir de se retrouver là, intacts, bien portants, lorsque des milliers de pauvres diables couvraient encore les campagnes environnantes ? Dans la grande salle à manger fraîche, la nappe toute blanche était une joie pour les yeux, et le café au lait, très chaud, semblait exquis.

On causa. Delaherche, qui avait déjà repris son aplomb de riche industriel, d’une bonhomie de patron aimant la popularité, sévère seulement à l’insuccès, en revint sur Napoléon iii, dont la figure hantait, depuis l’avant-veille, sa curiosité de badaud. Et il s’adressait à Jean, n’ayant là que ce garçon simple.

— Ah ! monsieur, oui ! je puis le dire, l’empereur m’a bien trompé… Car, enfin, ses thuriféraires ont beau plaider les circonstances atténuantes, il est évidemment la cause première, l’unique cause de nos désastres.

Déjà, il oubliait que, bonapartiste ardent, il avait, quelques mois plus tôt, travaillé au triomphe du plébiscite. Et il n’en était même plus à plaindre celui qui allait devenir l’homme de Sedan, il le chargeait de toutes les iniquités.

— Un incapable, comme on est forcé d’en convenir à cette heure ; mais cela ne serait rien encore… Un esprit chimérique, un cerveau mal fait, à qui les choses ont semblé réussir, tant que la chance a été pour lui… Non, voyez-vous, il ne faut pas qu’on essaye de nous apitoyer sur son sort, en nous disant qu’on l’a trompé, que l’opposition lui a refusé les hommes et les crédits nécessaires. C’est lui qui nous a trompés, dont les vices et les fautes nous ont jetés dans l’affreux gâchis où nous sommes.

Maurice, qui ne voulait pas parler, ne put réprimer un sourire ; tandis que Jean, gêné par cette conversation sur la politique, craignant de dire des sottises, se contenta de répondre :