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remettre debout, il erra par les pièces noires, évitant d’entrer dans la chambre où sa mère veillait le colonel, car le regard fixe dont elle suivait sa marche, finissait par le gêner. À deux reprises, il retourna voir si Henriette ne s’était point éveillée, il s’arrêta devant le visage de sa femme, si paisible. Jusqu’à deux heures du matin, ne sachant que faire, il redescendit, remonta, changea de place.

Cela ne pouvait durer. Delaherche résolut de retourner encore à la Sous-Préfecture, sentant bien que tout repos lui serait impossible, tant qu’il ne saurait pas. Mais, en bas, devant la rue encombrée, il fut pris d’un désespoir : jamais il n’aurait la force d’aller et de revenir, au milieu des obstacles dont le souvenir seul lui cassait les membres. Et il hésitait, lorsqu’il vit arriver le major Bouroche, soufflant, jurant.

— Tonnerre de Dieu ! c’est à y laisser les pattes !

Il avait dû se rendre à l’Hôtel de Ville, pour supplier le maire de réquisitionner du chloroforme et de lui en envoyer dès le jour, car sa provision se trouvait épuisée, des opérations étaient urgentes, et il craignait, comme il disait, d’être obligé de charcuter les pauvres bougres, sans les endormir.

— Eh bien ? demanda Delaherche.

— Eh bien, ils ne savent seulement pas si les pharmaciens en ont encore !

Mais le fabricant se moquait du chloroforme. Il reprit :

— Non, non… Est-ce fini, là-bas ? a-t-on signé avec les Prussiens ?

Le major eut un geste violent.

— Rien de fait ! cria-t-il. Wimpffen vient de rentrer… Il paraît que ces brigands-là ont des exigences à leur flanquer des gifles… Ah ! qu’on recommence donc, et que nous crevions tous, ça vaudra mieux !