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herche, sans remuer la tête. Il le reconnut, il demanda aussitôt d’une voix que la fièvre faisait trembler :

— C’est fini, n’est-ce pas ? on capitule.

Le fabricant, qui rencontra un regard de sa mère, fut sur le point de mentir. Mais à quoi bon ? Il eut un geste découragé.

— Que voulez-vous qu’on fasse ? Si vous pouviez voir les rues de la ville !… Le général de Wimpffen vient de se rendre au grand quartier prussien, pour débattre les conditions.

Les yeux de M. de Vineuil s’étaient refermés, un long frisson l’agita, pendant que cette lamentation sourde lui échappait :

— Ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu…

Et, sans rouvrir les paupières, il continua d’une voix saccadée :

— Ah ! ce que je voulais, c’était hier qu’on aurait dû le faire… Oui, je connaissais le pays, j’ai dit mes craintes au général ; mais, lui-même, on ne l’écoutait pas… Là-haut, au-dessus de Saint-Menges, jusqu’à Fleigneux, toutes les hauteurs occupées, l’armée dominant Sedan, maîtresse du défilé de Saint-Albert… Nous attendons là, nos positions sont inexpugnables, la route de Mézières reste ouverte…

Sa parole s’embarrassait, il balbutia encore quelques mots inintelligibles, pendant que la vision de bataille, née de la fièvre, se brouillait peu à peu, emportée dans le sommeil. Il dormait, peut-être continuait-il à rêver la victoire.

— Est-ce que le major répond de lui ? demanda Delaherche à voix basse.

Madame Delaherche fit un signe de tête affirmatif.

— N’importe, c’est terrible, ces blessures au pied, reprit-il. Le voilà au lit pour longtemps, n’est-ce pas ?

Cette fois, elle resta silencieuse, comme perdue elle-même dans la grande douleur de la défaite. Elle était déjà