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— Regarde donc, Maurice, dit brusquement Henriette, est-ce que ce n’est pas un soldat de la garde prussienne, ce mort, devant nous ?

Depuis un instant, elle examinait un des corps que l’ennemi avait laissés là, un garçon trapu, aux fortes moustaches, couché sur le flanc, dans le gravier de la terrasse. Le casque à pointe avait roulé à quelques pas, la jugulaire rompue. Et le cadavre portait en effet l’uniforme de la garde : le pantalon gris foncé, la tunique bleue, aux galons blancs, le manteau roulé, noué en bandoulière.

— Je t’assure, c’est de la garde… J’ai une image, chez nous… Et puis, la photographie que nous a envoyée le cousin Gunther…

Elle s’interrompit, s’en alla de son air paisible jusqu’au mort, avant même qu’on pût l’en empêcher. Elle s’était penchée.

— La patte est rouge, cria-t-elle, ah ! je l’aurais parié.

Et elle revint, pendant qu’une grêle de balles sifflait à ses oreilles.

— Oui, la patte est rouge, c’était fatal… Le régiment du cousin Gunther.

Dès lors, ni Maurice ni Jean n’obtinrent qu’elle se tînt à l’abri, immobile. Elle se remuait, avançait la tête, voulait quand même regarder vers le petit bois, dans une préoccupation constante. Eux, tiraient toujours, la repoussaient du genou, quand elle se découvrait trop. Sans doute, les Prussiens commençaient à s’estimer en nombre suffisant, prêts à l’attaque, car ils se montraient, un flot moutonnait et débordait entre les arbres ; et ils subissaient des pertes terribles, toutes les balles françaises portaient, culbutaient des hommes.

— Tenez ! dit Jean le voilà peut-être, votre cousin… Cet officier qui vient de sortir de la maison aux volets verts, en face.

Un capitaine était là, en effet, reconnaissable au collet