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aussi dormait là-bas, défiguré dans le sang et la poussière, une balle, près de sa tête, frappa un arbre qui se trouvait derrière elle. Jean s’était précipité.

— Ne restez pas là !… Vite, vite, cachez-vous dans la maison !

Depuis qu’il l’avait revue, si changée, si éperdue de détresse, il la regardait d’un cœur crevé de pitié, en se la rappelant telle qu’elle lui était apparue, la veille, avec son sourire de bonne ménagère. D’abord, il n’avait rien trouvé à lui dire, ne sachant même pas si elle le reconnaissait. Il aurait voulu se dévouer pour elle, lui rendre de la tranquillité et de la joie.

— Attendez-nous dans la maison… Dès qu’il y aura du danger, nous trouverons bien à vous faire sauver par là-haut.

Mais elle eut un geste d’indifférence.

— À quoi bon ?

Cependant, son frère la poussait lui aussi, et elle dut monter les marches, rester un instant au fond du vestibule, d’où son regard enfilait l’allée. Dès lors, elle assista au combat.

Derrière un des premiers ormes, se tenaient Maurice et Jean. Les troncs centenaires, d’une ampleur géante, pouvaient aisément abriter deux hommes. Plus loin, le clairon Gaude avait rejoint le lieutenant Rochas, qui s’obstinait à garder le drapeau, puisqu’il ne pouvait le confier à personne ; et il l’avait posé près de lui, contre l’arbre, pendant qu’il faisait le coup de feu. Chaque tronc, d’ailleurs, était habité. Les zouaves, les chasseurs, les soldats de l’infanterie de marine, d’un bout de l’allée à l’autre, s’effaçaient, n’allongeaient la tête que pour tirer.

En face, dans le petit bois, le nombre des Prussiens devait augmenter sans cesse, car la fusillade devenait plus vive. On ne voyait personne, à peine le profil rapide d’un homme, par instants, qui sautait d’un arbre à un autre.