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— Mon colonel, s’écria le capitaine Beaudoin, sans attendre l’avis de son chef, il faut fusiller une demi-douzaine de ces bandits.

Et le lieutenant Rochas approuvait du menton. Mais le colonel eut un geste d’impuissance.

— Ils sont trop… Comment voulez-vous ? près de sept cents ! Qui prendre là dedans ?… Et puis, si vous saviez ! le général ne veut pas. Il est paternel, il dit qu’en Afrique il n’a jamais puni un homme… Non, non ! je ne puis rien. C’est terrible.

Le capitaine osa répéter :

— C’est terrible… C’est la fin de tout.

Et Jean se retirait, lorsqu’il entendit le major Bouroche, qu’il n’avait pas vu, debout sur le seuil de l’auberge, gronder de sourdes paroles : plus de discipline, plus de punitions, armée fichue ! Avant huit jours, les chefs recevraient des coups de pied au derrière ; tandis que, si l’on avait tout de suite cassé la tête à quelques-uns de ces gaillards, les autres auraient réfléchi peut-être.

Personne ne fut puni. Des officiers, à l’arrière-garde, qui escortaient les voitures du convoi, avaient eu l’heureuse précaution de faire ramasser les sacs et les fusils, aux deux bords des chemins. Il n’en manqua qu’un petit nombre, les hommes furent réarmés à la pointe du jour, comme furtivement, pour étouffer l’affaire. Et l’ordre était de lever le camp à cinq heures ; mais, dès quatre heures, on réveilla les soldats, on pressa la retraite sur Belfort, dans la certitude que les Prussiens n’étaient plus qu’à deux ou trois lieues. On avait dû encore se contenter de biscuit, les troupes restaient fourbues de cette nuit trop courte et fiévreuse, sans rien de chaud dans l’estomac. De nouveau, ce matin-là, la bonne conduite de la marche se trouva compromise par ce départ précipité.

Ce fut une journée pire, d’une infinie tristesse. L’aspect du pays avait changé, on était entré dans une contrée