Page:Zola - La Débâcle.djvu/364

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le chemin tournait, et l’on descendait dans le fond de Givonne, un faubourg encaissé entre des coteaux, où la route qui montait vers les bois, était bordée de petites maisons et de jardins. Un tel flot de fuyards l’encombrait à ce moment, que le lieutenant Rochas se trouva comme bloqué, avec Pache, Lapoulle et Gaude, contre une auberge, à l’angle d’un carrefour. Jean et Maurice eurent de la peine à les rejoindre. Et tous furent surpris d’entendre une voix épaisse d’ivrogne qui les interpellait.

— Tiens ! cette rencontre !… Ohé, la coterie !… Ah ! c’est une vraie rencontre tout de même !

Ils reconnurent Chouteau, dans l’auberge, accoudé à une des fenêtres du rez-de-chaussée. Très ivre, il continua, entre deux hoquets :

— Dites donc, vous gênez pas, si vous avez soif… Y en a encore pour les camarades…

D’un geste vacillant, par-dessus son épaule, il appelait quelqu’un, resté au fond de la salle.

— Arrive, feignant… Donne à boire à ces messieurs…

Ce fut Loubet qui parut à son tour, tenant dans chaque main une bouteille pleine, qu’il agitait en rigolant. Il était moins ivre que l’autre, il cria de sa voix de blague parisienne, avec le nasillement des marchands de coco, un jour de fête publique :

— À la fraîche, à la fraîche, qui veut boire !

On ne les avait pas revus, depuis qu’ils s’en étaient allés, sous le prétexte de porter à l’ambulance le sergent Sapin. Sans doute, ils avaient erré ensuite, flânant, évitant les coins où tombaient les obus. Et ils venaient d’échouer là, dans cette auberge mise au pillage.

Le lieutenant Rochas fut indigné.

— Attendez, bandits, je vas vous faire siroter, pendant que nous tous, nous crevons à la peine !

Mais Chouteau n’accepta pas la réprimande.

— Ah ! tu sais, espèce de vieux toqué, il n’y a plus de