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bulance. Dans la salle, une panique avait soulevé les blessés de leur couche de paille, et tous criaient d’épouvante, et tous voulaient fuir.

Delaherche se précipita, affolé, pour juger des dégâts. Est-ce qu’on allait lui démolir, lui incendier sa maison, à présent ? Que se passait-il donc ? Puisque l’empereur voulait qu’on cessât, pourquoi avait-on recommencé ?

— Nom de Dieu ! remuez-vous ! cria Bouroche aux infirmiers figés de terreur. Lavez-moi la table, apportez-moi le numéro trois !

On lava la table, on jeta une fois encore les seaux d’eau rouge à la volée, au travers de la pelouse. La corbeille de marguerites n’était plus qu’une bouillie sanglante, de la verdure et des fleurs hachées dans du sang. Et le major, à qui on avait apporté le numéro trois, se mit, pour se délasser un peu, à chercher une balle qui, après avoir fracassé le maxillaire inférieur, devait s’être logée sous la langue. Beaucoup de sang coulait et lui engluait les doigts.

Dans la salle, le capitaine Beaudoin était de nouveau couché sur son matelas. Gilberte et madame Delaherche avaient suivi le brancard. Delaherche lui-même, malgré son agitation, vint causer un moment.

— Reposez-vous, capitaine. Nous allons faire préparer une chambre, nous vous prendrons chez nous.

Mais, dans sa prostration, le blessé eut un réveil, une minute de lucidité.

— Non, je crois bien que je vais mourir.

Et il les regardait tous les trois, les yeux élargis, pleins de l’épouvante de la mort.

— Oh ! capitaine, qu’est-ce que vous dites là ? murmura Gilberte en s’efforçant de sourire, toute glacée. Vous serez debout dans un mois.

Il secouait la tête, il ne regardait plus qu’elle, avec un immense regret de la vie dans les yeux, une lâcheté de