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d’une sorte de petite fumée rousse. Il avait compris. Mais, malgré l’insupportable peur qui l’étranglait, il répondit simplement, avec bravoure :

— Faites, major.

Et les préparatifs ne furent pas longs. Déjà, l’aide tenait la serviette imbibée de chloroforme, qui fut tout de suite appliquée sous le nez du patient. Puis, au moment où la courte agitation qui précède l’anesthésie se produisait, deux infirmiers firent glisser le capitaine sur le matelas, de façon à avoir les jambes libres ; et l’un d’eux garda la gauche, qu’il soutint ; tandis qu’un aide, saisissant la droite, la serrait rudement des deux mains, à la racine de la cuisse, pour comprimer les artères.

Alors, quand elle vit Bouroche s’approcher avec le couteau mince, Gilberte ne put en supporter davantage.

— Non, non, c’est affreux !

Et elle défaillait, elle s’appuya sur madame Delaherche, qui avait dû avancer le bras pour l’empêcher de tomber.

— Mais pourquoi restez-vous ?

Toutes deux, cependant, demeurèrent. Elles tournaient la tête, ne voulant plus voir, immobiles et tremblantes, serrées l’une contre l’autre, malgré leur peu de tendresse.

Ce fut sûrement à cette heure de la journée que le canon tonna le plus fort. Il était trois heures, et Delaherche, désappointé, exaspéré, déclarait n’y plus rien comprendre. Maintenant, il devenait hors de doute que, loin de se taire, les batteries prussiennes redoublaient leur feu. Pourquoi ? que se passait-il ? C’était un bombardement d’enfer, le sol tremblait, l’air s’embrasait. Autour de Sedan, la ceinture de bronze, les huit cents pièces des armées allemandes tiraient à la fois, foudroyaient les champs voisins d’un tonnerre continu ; et ce feu convergent, toutes les hauteurs environnantes frappant au centre, aurait brûlé et pulvérisé la ville en deux