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ferme. Mais il venait d’être touché par l’ « à quoi bon ? » Le sentiment qu’il ne ferait jamais tout, qu’il ne pouvait pas tout faire, l’avait brusquement paralysé. À quoi bon ? puisque la mort serait quand même la plus forte !

Deux infirmiers apportaient sur un brancard le capitaine Beaudoin.

— Monsieur le major, se permit de dire Delaherche, voici le capitaine.

Bouroche ouvrit les yeux, retira ses bras des deux seaux, les secoua, les essuya dans la paille. Puis, se soulevant sur les genoux :

— Ah ! oui, foutre ! à un autre… Voyons, voyons, la journée n’est pas finie.

Et il était debout, rafraîchi, secouant sa tête de lion aux cheveux fauves, remis d’aplomb par la pratique et par l’impérieuse discipline.

Gilberte et madame Delaherche avaient suivi le brancard ; et elles restèrent à quelques pas, lorsqu’on eut couché le capitaine sur le matelas, recouvert de la toile cirée.

— Bon ! c’est au-dessus de la cheville droite, disait Bouroche, qui causait beaucoup, pour occuper le blessé. Pas mauvais, à cette place. On s’en tire très bien… Nous allons examiner ça.

Mais la torpeur où était Beaudoin, le préoccupait visiblement. Il regardait le pansement d’urgence, un simple lien, serré et maintenu sur le pantalon par un fourreau de baïonnette. Et, entre ses dents, il grognait, demandant quel était le salop qui avait fichu ça. Puis, tout d’un coup, il se tut. Il venait de comprendre : c’était sûrement pendant le transport, au fond du landau empli de blessés, que le bandage avait dû se détendre, glissant, ne comprimant plus la plaie, ce qui avait occasionné une très abondante hémorragie.