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aperçut, sur un matelas, un soldat qui ne bougeait plus, la face terreuse, les yeux ouverts.

— Dites donc, mais il est mort, celui-là !

— Tiens ! c’est vrai, murmura un infirmier. Pas la peine qu’il encombre !

Lui et un camarade prirent le corps, l’emportèrent au charnier qu’on avait établi derrière les cytises. Une douzaine de morts, déjà, s’y trouvaient rangés, raidis dans le dernier râle, les uns les pieds étirés, comme allongés par la souffrance, les autres déjetés, tordus en des postures atroces. Il y en avait qui ricanaient, les yeux blancs, les dents à nu sous les lèvres retroussées ; tandis que plusieurs, la figure longue, affreusement triste, pleuraient encore de grosses larmes. Un, très jeune, petit et maigre, la tête à moitié emportée, serrait sur son cœur, de ses deux mains convulsives, une photographie de femme, une de ces pâles photographies de faubourg, éclaboussée de sang. Et, aux pieds des morts, pêle-mêle, des jambes et des bras coupés s’entassaient aussi, tout ce qu’on rognait, tout ce qu’on abattait sur les tables d’opération, le coup de balai de la boutique d’un boucher, poussant dans un coin les déchets, la chair et les os.

Devant le capitaine Beaudoin, Gilberte avait frémi. Mon Dieu ! qu’il était pâle, couché sur ce matelas, la face toute blanche sous la saleté qui la souillait ! Et la pensée que, quelques heures auparavant, il l’avait tenue entre ses bras, plein de vie et sentant bon, la glaçait d’effroi. Elle s’était agenouillée.

— Quel malheur, mon ami ! Mais ce n’est rien, n’est-ce pas ?

Et, machinalement, elle avait tiré son mouchoir, elle lui en essuyait la figure, ne pouvant le tolérer ainsi, sali de sueur, de terre et de poudre. Il lui semblait qu’elle le soulageait, en le nettoyant un peu.

— N’est-ce pas ? ce n’est rien, ce n’est que votre jambe.