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De là, en effet, le grondement des batteries de la Marfée et de Frénois arrivait avec une violence extraordinaire. C’était un roulement de foudre dont tremblaient les vitres et les murs eux-mêmes, un fracas obstiné, incessant, exaspérant. Et il devait songer que la lutte, désormais, était sans espoir, que toute résistance devenait criminelle. À quoi bon du sang versé encore, des membres broyés, des têtes emportées, des morts toujours, ajoutés aux morts épars dans la campagne ? Puisqu’on était vaincu, que c’était fini, pourquoi se massacrer davantage ? Assez d’abomination et de douleur criait sous le soleil.

L’empereur, revenu devant la fenêtre, se remit à trembler, en levant les mains.

— Oh ! ce canon, ce canon qui ne cesse pas !

Peut-être la pensée terrible des responsabilités se levait-elle en lui, avec la vision des cadavres sanglants que ses fautes avaient couchés là-bas, par milliers ; et peut-être n’était-ce que l’attendrissement de son cœur pitoyable de rêveur, de bon homme hanté de songeries humanitaires. Dans cet effrayant coup du sort qui brisait et emportait sa fortune, ainsi qu’un brin de paille, il trouvait des larmes pour les autres, éperdu de la boucherie inutile qui continuait, sans force pour la supporter davantage. Maintenant, cette canonnade scélérate lui cassait la poitrine, redoublait son mal.

— Oh ! ce canon, ce canon, faites-le taire tout de suite, tout de suite !

Et cet empereur qui n’avait plus de trône, ayant confié ses pouvoirs à l’impératrice-régente, ce chef d’armée qui ne commandait plus, depuis qu’il avait remis au maréchal Bazaine le commandement suprême, eut alors un réveil de sa puissance, l’irrésistible besoin d’être le maître une dernière fois. Depuis Châlons, il s’était effacé, n’avait pas donné un ordre, résigné à n’être qu’une inutilité sans nom et encombrante, un paquet gênant, emporté parmi