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— J’ai mon affaire, bégaya-t-il.

Il avait reçu, sur le sommet de la tête, comme un fort coup de marteau, et son képi, déchiré, emporté, gisait derrière lui. D’abord, il crut que son crâne était ouvert, qu’il avait la cervelle à nu. Pendant quelques secondes, il n’osa y porter la main, certain de trouver là un trou. Puis, s’étant hasardé, il ramena ses doigts rouges d’un épais flot de sang. Et la sensation fut si forte, qu’il s’évanouit.

À ce moment, Rochas donnait l’ordre de se replier. Une compagnie prussienne n’était plus qu’à deux ou trois cents mètres. On allait être pris.

— Ne vous pressez pas, retournez-vous et lâchez votre coup… Nous nous rallierons là-bas, derrière ce petit mur.

Mais Maurice se désespérait.

— Mon lieutenant, nous n’allons pas laisser là notre caporal ?

— S’il a son compte, que voulez-vous y faire ?

— Non, non ! il respire… Emportons-le !

D’un haussement d’épaules, Rochas sembla dire qu’on ne pouvait s’embarrasser de tous ceux qui tombaient. Sur le champ de bataille, les blessés ne comptent plus. Alors, suppliant, Maurice s’adressa à Pache et à Lapoulle.

— Voyons, donnez-moi un coup de main. Je suis trop faible, à moi tout seul.

Ils ne l’écoutaient pas, ne l’entendaient pas, ne songeaient qu’à eux, dans l’instinct surexcité de la conservation. Déjà, ils se glissaient sur les genoux, disparaissaient, au galop, vers le petit mur. Les Prussiens n’étaient plus qu’à cent mètres.

Et, pleurant de rage, Maurice, resté seul avec Jean évanoui, l’empoigna dans ses bras, voulut l’emporter. Mais, en effet, il était trop faible, chétif, épuisé de fatigue