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À Berlin ! à Berlin ! Maurice entendit ce cri hurlé par la foule grouillante des boulevards, pendant la nuit de fol enthousiasme, qui l’avait décidé à s’engager. Le vent venait de tourner, sous un coup de tempête ; et il y avait une saute terrible, et tout le tempérament de la race était dans cette confiance exaltée, qui tombait brusquement, dès le premier revers, à la désespérance dont le galop l’emportait parmi ces soldats errants, vaincus et dispersés, avant d’avoir combattu.

— Ah ! ce qu’il me scie les pattes, le flingot ! reprit Loubet, en changeant une fois encore son fusil d’épaule. En voilà un mirliton, pour se promener !

Et, faisant allusion à la somme qu’il avait touchée comme remplaçant :

— N’importe ! quinze cents balles, pour ce métier-là, on est rudement volé !… Ce qu’il doit fumer de bonnes pipes, au coin de son feu, le richard à la place de qui je vas me faire casser la gueule !

— Moi, grogna Chouteau, j’avais fini mon temps, j’allais filer… Ah ! vrai, ce n’est pas de chance, de tomber dans une cochonnerie d’histoire pareille !

Il balançait son fusil, d’une main rageuse. Puis, violemment, il le lança aussi de l’autre côté d’une haie.

— Eh ! va donc, sale outil !

Le fusil tourna deux fois sur lui-même, alla s’abattre dans un sillon et resta là, très long, immobile, pareil à un mort. Déjà, d’autres volaient, le rejoignaient. Le champ bientôt fut plein d’armes gisantes, d’une tristesse raidie d’abandon, sous le lourd soleil. Ce fut une épidémique folie, la faim qui tordait les estomacs, les chaussures qui blessaient les pieds, cette marche dont on souffrait, cette défaite imprévue dont on entendait derrière soi la menace. Plus rien à espérer de bon, les chefs qui lâchaient pied, l’intendance qui ne les nourrissait seulement pas, la colère, l’embêtement, l’envie d’en finir tout