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batterie remontait une pente, venait s’établir plus en avant, à quelques mètres de l’endroit où Maurice et Jean étaient couchés. Pour la troisième fois, les pièces furent décrochées, les conducteurs se retrouvèrent face à l’ennemi, tandis que les servants, tout de suite, rouvraient le feu, avec un entêtement d’héroïsme invincible.

— C’est la fin de tout ! dit Maurice, dont la voix se perdit.

Il semblait, en effet, que la terre et le ciel se fussent confondus. Les pierres se fendaient, une épaisse fumée cachait par instants le soleil. Au milieu de l’effroyable vacarme, on apercevait les chevaux étourdis, abêtis, la tête basse. Partout, le capitaine apparaissait, trop grand. Il fut coupé en deux, il se cassa et tomba, comme la hampe d’un drapeau.

Mais, autour de la pièce d’Honoré surtout, l’effort continuait, sans hâte et obstiné. Lui, malgré ses galons, dut se mettre à la manœuvre, car il ne restait que trois servants. Il pointait, tirait le rugueux, pendant que les trois allaient au caisson, chargeaient, maniaient l’écouvillon et le refouloir. On avait fait demander des hommes et des chevaux haut-le-pied, pour boucher les trous creusés par la mort ; et ils tardaient à venir, il fallait se suffire en attendant. La rage était qu’on n’arrivait toujours pas, que les projectiles lancés éclataient presque tous en l’air, sans faire grand mal à ces terribles batteries adverses, dont le feu était si efficace. Et, brusquement, Honoré poussa un juron, qui domina le bruit de la foudre : toutes les malechances, la roue droite de sa pièce venait d’être broyée ! Tonnerre de dieu ! une patte cassée, la pauvre bougresse fichue sur le flanc, son nez par terre, bancale et bonne à rien ! Il en pleurait de grosses larmes, il lui avait pris le cou entre ses mains égarées, comme s’il avait voulu la remettre d’aplomb, par la seule chaleur de sa tendresse. Une pièce qui était la meilleure, qui était la seule à avoir