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qui chassaient une vieille dame de chez elle, venaient de la forcer à leur donner des allumettes, pour mettre le feu à son lit et à ses rideaux. De proche en proche, les incendies gagnaient, sous les brandons de paille jetés, sous les flots de pétrole répandus ; et ce n’était plus qu’une guerre de sauvages, enragés par la longueur de la lutte, vengeant leurs morts, leurs tas de morts, sur lesquels ils marchaient. Des bandes hurlaient parmi la fumée et les étincelles, dans l’effrayant vacarme fait de tous les bruits, des plaintes d’agonie, des coups de feu, des écroulements. À peine se voyait-on, de grandes poussières livides s’envolaient, cachaient le soleil, d’une insupportable odeur de suie et de sang, comme chargées des abominations du massacre. On tuait encore, on détruisait dans tous les coins : la brute lâchée, l’imbécile colère, la folie furieuse de l’homme en train de manger l’homme.

Et Weiss, enfin, devant lui, aperçut sa maison qui brûlait. Des soldats étaient accourus avec des torches, d’autres activaient les flammes, en y lançant les débris des meubles. Rapidement, le rez-de-chaussée flamba, la fumée sortit par toutes les plaies de la façade et de la toiture. Mais, déjà, la teinturerie voisine prenait également feu ; et, chose affreuse, on entendit encore la voix du petit Auguste, couché dans son lit, délirant de fièvre, qui appelait sa mère ; tandis que les jupes de la malheureuse, étendue sur le seuil, la tête broyée, s’allumaient.

— Maman, j’ai soif… Maman, donne-moi de l’eau…

Les flammes ronflèrent, la voix cessa, on ne distingua plus que les hourras assourdissants des vainqueurs.

Mais, par-dessus les bruits, par-dessus les clameurs, un cri terrible domina. C’était Henriette qui arrivait et qui venait de voir son mari, contre le mur, en face d’un peloton préparant ses armes.

Elle se rua à son cou.

— Mon dieu ! qu’est-ce qu’il y a ? Ils ne vont pas te tuer !