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— Mes amis, nous ne pouvons pas reculer, ce serait la fin de tout… Si nous devons battre en retraite, nous irons sur Carignan et non sur Mézières… Mais nous vaincrons, vous les avez battus ce matin, vous les battrez encore !

Il galopa, s’éloigna par un chemin qui montait vers la Moncelle. Le bruit courait qu’il venait d’avoir avec le général Ducrot une discussion violente, chacun soutenant son plan, attaquant le plan contraire, l’un déclarant que la retraite par Mézières n’était plus possible depuis le matin, l’autre prophétisant qu’avant le soir, si l’on ne se retirait pas sur le plateau d’Illy, l’armée serait cernée. Et ils s’accusaient mutuellement de ne connaître ni le pays, ni la situation vraie des troupes. Le pis était qu’ils avaient tous les deux raison.

Mais, depuis un instant, Henriette se trouvait distraite dans sa hâte d’avancer. Elle venait de reconnaître, échouée au bord de la route, toute une famille de Bazeilles, de pauvres tisserands, le mari, la femme, avec trois filles, dont la plus âgée n’avait que neuf ans. Ils étaient tellement brisés, tellement éperdus de fatigue et de désespoir, qu’ils n’avaient pu aller plus loin, tombés contre un mur.

— Ah ! ma chère dame, répétait la femme à Henriette, nous n’avons plus rien… Vous savez, notre maison était sur la place de l’Église. Alors, voilà qu’un obus y a mis le feu. Je ne sais pas comment les enfants et nous autres, nous n’y sommes pas restés…

Les trois petites filles, à ce souvenir, se remirent à sangloter, en poussant des cris, tandis que la mère entrait dans les détails de leur désastre, avec des gestes fous.

— J’ai vu le métier brûler comme un fagot de bois sec… Le lit, les meubles ont flambé plus vite que des poignées de paille… Et il y avait même la pendule, oui ! la pendule que je n’ai pas eu le temps d’emporter dans mes bras.