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C’étaient de graves raisons qui venaient de décider le général Douay à une retraite immédiate. La dépêche du sous-préfet de Schelestadt, vieille déjà de trois jours, se trouvait confirmée : on télégraphiait qu’on avait vu de nouveau les feux des Prussiens qui menaçaient Markolsheim ; et, d’autre part, un télégramme annonçait qu’un corps d’armée ennemi passait le Rhin à Huningue. Des détails arrivaient, abondants, précis : la cavalerie et l’artillerie aperçues, les troupes en marche, se rendant de toutes parts à leur point de ralliement. Si l’on s’attardait une heure, c’était sûrement la ligne de retraite sur Belfort coupée. Dans le contre-coup de la défaite, après Wissembourg et Frœschwiller, le général, isolé, perdu à l’avant-garde, n’avait qu’à se replier en hâte ; d’autant plus que les nouvelles, reçues le matin, aggravaient encore celles de la nuit.

En avant, était parti l’état-major, au grand trot, poussant de l’éperon les montures, dans la crainte d’être devancé et de trouver déjà les Prussiens à Altkirch. Le général Bourgain-Desfeuilles, qui prévoyait une étape dure, avait eu la précaution de traverser Mulhouse, pour y déjeuner copieusement, en maugréant de la bousculade. Et Mulhouse, sur le passage des officiers, était désolé ; les habitants, à l’annonce de la retraite, sortaient dans les rues, se lamentaient du brusque départ de ces troupes, dont ils avaient si instamment imploré la venue : on les abandonnait donc, les richesses incalculables entassées dans la gare allaient-elles être laissées à l’ennemi, leur ville elle-même devait-elle, avant le soir, n’être plus qu’une ville conquise ? Puis, le long des routes, au travers des campagnes, les habitants des villages, des maisons isolées, s’étaient eux aussi plantés devant leur porte, étonnés, effarés. Eh quoi ! ces régiments qu’ils avaient vus passer la veille, marchant au combat, se repliaient, fuyaient sans avoir combattu ! Les chefs étaient sombres, hâtaient leurs