Page:Zola - La Débâcle.djvu/262

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rappelait leur enfance, lorsque le père de Gilberte, le commandant de Vineuil, nommé directeur des douanes à Charleville, à la suite de ses blessures, avait envoyé sa fille dans une ferme, près du Chêne-Populeux, inquiet de l’entendre tousser, hanté par la mort de sa femme, que la phtisie venait d’emporter toute jeune. La fillette n’avait que neuf ans, et déjà elle était d’une coquetterie turbulente, elle jouait la comédie, voulait toujours faire la reine, drapée dans tous les chiffons qu’elle trouvait, gardant le papier d’argent du chocolat pour s’en fabriquer des bracelets et des couronnes. Plus tard, elle était restée la même, lorsque, à vingt ans, elle avait épousé l’inspecteur des forêts Maginot. Mézières, resserré entre ses remparts, lui déplaisait, et elle continuait d’habiter Charleville, dont elle aimait la vie large, égayée de fêtes. Son père n’était plus, elle jouissait d’une liberté entière, avec un mari commode, dont la nullité la laissait sans remords. La malignité provinciale lui avait alors prêté beaucoup d’amants, mais elle ne s’était réellement oubliée qu’avec le capitaine Beaudoin, dans le flot d’uniformes où elle vivait, grâce aux anciennes relations de son père et à sa parenté avec le colonel de Vineuil. Elle était sans méchanceté perverse, adorant simplement le plaisir ; et il semblait bien certain qu’en prenant un amant, elle avait cédé à son irrésistible besoin d’être belle et gaie.

— C’est très mal d’avoir renoué, dit enfin Henriette de son air sérieux.

Déjà, Gilberte lui fermait la bouche, d’un de ses jolis gestes caressants.

— Oh ! chérie, puisque je ne pouvais pas faire autrement et que c’était pour une seule fois… Tu le sais, j’aimerais mieux mourir, maintenant, que de tromper mon nouveau mari.

Ni l’une ni l’autre ne parlèrent plus, serrées dans une affectueuse étreinte, si profondément dissemblables pour-