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velle désastreuse de Frœschwiller circulât depuis le lever, les quatre hommes riaient, faisaient avec leur indifférence de machine les besognes accoutumées.

Mais il y eut un grognement de surprise goguenarde. C’était Jean, le caporal, qui, accompagné de Maurice, revenait de la distribution, avec du bois à brûler. Enfin, on distribuait le bois, que les troupes avaient vainement attendu la veille, pour cuire la soupe. Douze heures de retard seulement.

— Bravo, l’intendance ! cria Chouteau.

— N’importe, ça y est ! dit Loubet. Ah ! ce que je vais vous faire un chouette pot-au-feu !

D’habitude, il se chargeait volontiers de la popote ; et on l’en remerciait, car il cuisinait à ravir. Mais il accablait alors Lapoulle de corvées extraordinaires.

— Va chercher le champagne, va chercher les truffes…

Puis, ce matin-là, une idée baroque de gamin de Paris se moquant d’un innocent, lui traversa la cervelle.

— Plus vite que ça ! donne-moi le poulet.

— Où donc, le poulet ?

— Mais là, par terre… Le poulet que je t’ai promis, le poulet que le caporal vient d’apporter !

Il lui désignait un gros caillou blanc, à leurs pieds. Lapoulle, interloqué, finit par le prendre et par le retourner entre ses doigts.

— Tonnerre de Dieu ! veux-tu laver le poulet !… Encore ! lave-lui les pattes, lave-lui le cou !… À grande eau, feignant !

Et, pour rien, pour la rigolade, parce que l’idée de la soupe le rendait gai et farceur, il flanqua la pierre avec la viande dans la marmite pleine d’eau.

— C’est ça qui va donner du goût au bouillon ! Ah ! tu ne savais pas ça, tu ne sais donc rien, sacrée andouille !… Tu auras le croupion, tu verras si c’est tendre !

L’escouade se tordait de la tête de Lapoulle, maintenant