Page:Zola - La Débâcle.djvu/241

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais un obus éclata à dix mètres, couvrant la compagnie de terre. Et, bien que Loubet fît la blague de crier aux camarades de prendre leurs brosses dans les sacs, Chouteau pâlissant se tut. Il n’avait jamais vu le feu, ni Pache, ni Lapoulle non plus d’ailleurs, personne de l’escouade, excepté Jean. Les paupières battaient sur les yeux un peu troubles, les voix se faisaient grêles, comme étranglées au passage. Assez maître de lui, Maurice s’efforçait de s’étudier : il n’avait pas encore peur, car il ne se croyait pas en danger ; et il n’éprouvait, à l’épigastre, qu’une sensation de malaise, tandis que sa tête se vidait, incapable de lier deux idées l’une à l’autre. Cependant, son espoir grandissait plutôt, ainsi qu’une ivresse, depuis qu’il s’était émerveillé du bel ordre des troupes. Il en était à ne plus douter de la victoire, si l’on pouvait aborder l’ennemi à la baïonnette.

— Tiens ! murmura-t-il, c’est plein de mouches.

À trois reprises déjà, il avait entendu comme un vol d’abeilles.

— Mais non, dit Jean, en riant, ce sont des balles.

D’autres légers bourdonnements d’ailes passèrent. Toute l’escouade tournait la tête, s’intéressait. C’était irrésistible, les hommes renversaient le cou, ne pouvaient rester en place.

— Écoute, recommanda Loubet à Lapoulle, en s’amusant de sa simplicité, quand tu vois arriver une balle, tu n’as qu’à mettre, comme ça, un doigt devant ton nez : ça coupe l’air, la balle passe à droite ou à gauche.

— Mais je ne les vois pas, dit Lapoulle.

Un rire formidable éclata autour de lui.

— Oh ! le malin, il ne les voit pas !… Ouvre donc tes quinquets, imbécile !… Tiens ! en voici une, tiens ! en voici une autre… Tu ne l’as pas vue, celle-là ? elle était verte.

Et Lapoulle écarquillait les yeux, mettait un doigt de-