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persistait ; puis, au fond, les coteaux de la rive gauche, le Liry, la Marfée, la Croix-Piau. Mais c’était surtout vers l’ouest, vers Donchery, que s’étendait la vue. La boucle de la Meuse enserrait la presqu’île d’Iges d’un ruban pâle ; et, là, on se rendait parfaitement compte de l’étroite route de Saint-Albert, qui filait entre la berge et un coteau escarpé, couronné plus loin par le petit bois du Seugnon, une queue des bois de la Falizette. En haut de la côte, au carrefour de la maison-rouge, débouchait la route de Vrignes-aux-Bois et de Donchery.

— Vois-tu, par là, nous pourrions nous replier sur Mézières.

Mais, à cette minute même, un premier coup de canon partit de Saint-Menges. Dans les fonds, traînaient encore des lambeaux de brouillard, et rien n’apparaissait, qu’une masse confuse, en marche dans le défilé de Saint-Albert.

— Ah ! les voici, reprit Maurice qui baissa instinctivement la voix, sans nommer les Prussiens. Nous sommes coupés, c’est fichu !

Il n’était pas huit heures. Le canon, qui redoublait du côté de Bazeilles, se faisait aussi entendre à l’est, dans le vallon de la Givonne, qu’on ne pouvait voir : c’était le moment où l’armée du prince royal de Saxe, au sortir du bois Chevalier, abordait le 1er corps, en avant de Daigny. Et, maintenant que le xie corps Prussien, en marche vers Floing, ouvrait le feu sur les troupes du général Douay, la bataille se trouvait engagée de toutes parts, du sud au nord, sur cet immense périmètre de plusieurs lieues.

Maurice venait d’avoir conscience de l’irréparable faute qu’on avait commise, en ne se retirant pas sur Mézières, pendant la nuit. Mais, pour lui, les conséquences restaient confuses. Seul, un sourd instinct du danger lui faisait regarder avec inquiétude les hauteurs voisines, qui dominaient le plateau de l’Algérie. Si l’on n’avait pas eu le temps de battre en retraite, pourquoi ne s’était-on pas