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II


Sur le plateau de Floing, au petit jour, dans le brouillard épais, le clairon Gaude sonna la diane, de tout son souffle. Mais l’air était si noyé d’eau, que la sonnerie joyeuse s’étouffait. Et les hommes de la compagnie, qui n’avaient pas même eu le courage de dresser les tentes, roulés dans les toiles, couchés dans la boue, ne s’éveillaient pas, pareils déjà à des cadavres, avec leurs faces blêmes, durcies de fatigue et de sommeil. Il fallut les secouer un à un, les tirer de ce néant ; et ils se soulevaient comme des ressuscités, livides, les yeux pleins de la terreur de vivre.

Jean avait réveillé Maurice.

— Quoi donc ? Où sommes-nous ?

Effaré, il regardait, n’apercevait que cette mer grise, où flottaient les ombres de ses camarades. On ne distinguait rien, à vingt mètres devant soi. Toute orientation se trouvait perdue, il n’aurait pas été capable de dire de quel côté était Sedan. Mais, à ce moment, le canon, quelque part, très loin, frappa son oreille.

— Ah ! oui, c’est pour aujourd’hui, on se bat… Tant mieux ! on va donc en finir !

Des voix, autour de lui, disaient de même ; et c’était une sombre satisfaction, le besoin de s’évader de ce cauchemar, de les voir enfin, ces Prussiens, qu’on était venu chercher, et devant lesquels on fuyait depuis tant de mortelles heures ! On allait donc leur envoyer des coups de fusil, s’alléger de ces cartouches qu’on avait apportées de si