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brasser, votre petit Auguste… Mais il n’est pas si mal que ça, encore une couple de jours, et il sera hors de danger… Ayez bon courage, surtout rentrez vite, ne montrez plus votre nez.

Les deux hommes, enfin, partaient.

— Au revoir, Françoise.

— Au revoir, messieurs.

Et, à cette seconde même, il y eut un épouvantable fracas. C’était un obus qui, après avoir démoli une cheminée de la maison de Weiss, tombait sur le trottoir, où il éclata avec une telle détonation, que toutes les vitres voisines furent brisées. Une poussière épaisse, une fumée lourde empêchèrent d’abord de voir. Puis, la façade reparut, éventrée ; et, là, sur le seuil, Françoise était jetée en travers, morte, les reins cassés, la tête broyée, une loque humaine, toute rouge, affreuse.

Weiss, furieusement, accourut. Il bégayait, il ne trouvait plus que des jurons.

— Nom de Dieu ! nom de Dieu !

Oui, elle était bien morte. Il s’était baissé, il lui tâtait les mains ; et, en se relevant, il rencontra le visage empourpré du petit Auguste, qui avait soulevé la tête pour regarder sa mère. Il ne disait rien, il ne pleurait pas, il avait seulement ses grands yeux de fièvre élargis démesurément, devant cet effroyable corps qu’il ne reconnaissait plus.

— Nom de Dieu ! put enfin crier Weiss, les voilà maintenant qui tuent les femmes !

Il s’était remis debout, il montrait le poing aux Bavarois, dont les casques commençaient à reparaître, du côté de l’église. Et la vue du toit de sa maison à moitié crevé par la chute de la cheminée, acheva de le jeter dans une exaspération folle.

— Sales bougres ! vous tuez les femmes et vous démolissez ma maison !… Non, non ! ce n’est pas possible, je ne peux pas m’en aller comme ça, je reste !