Page:Zola - La Débâcle.djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme un coup de théâtre : le soleil se levait, les vapeurs de la Meuse s’envolèrent en lambeaux de fine mousseline, le ciel bleu apparut, se dégagea, d’une limpidité sans tache. C’était l’exquise matinée d’une admirable journée d’été.

— Ah ! cria Delaherche, ils passent le pont du chemin de fer. Les voyez-vous qui cherchent à gagner, le long de la ligne… Mais c’est stupide, de ne pas avoir fait sauter le pont !

Le lieutenant eut un geste de muette colère. Les fourneaux de mine étaient chargés, raconta-t-il ; seulement, la veille, après s’être battu quatre heures pour reprendre le pont, on avait oublié d’y mettre le feu.

— C’est notre chance, dit-il de sa voix brève.

Weiss regardait, essayait de se rendre compte. Les Français occupaient, dans Bazeilles, une position très forte. Bâti aux deux bords de la route de Douzy, le village dominait la plaine ; et il n’y avait, pour s’y rendre, que cette route, tournant à gauche, passant devant le château, tandis qu’une autre, à droite, qui conduisait au pont du chemin de fer, bifurquait à la place de l’Église. Les Allemands devaient donc traverser les prairies, les terres de labour, dont les vastes espaces découverts bordaient la Meuse et la ligne ferrée. Leur prudence habituelle étant bien connue, il semblait peu probable que la véritable attaque se produisît de ce côté. Cependant, des masses profondes arrivaient toujours par le pont, malgré le massacre que des mitrailleuses, installées à l’entrée de Bazeilles, faisaient dans les rangs ; et, tout de suite, ceux qui avaient passé, se jetaient en tirailleurs parmi les quelques saules, des colonnes se reformaient et s’avançaient. C’était de là que partait la fusillade croissante.

— Tiens ! fit remarquer Weiss, ce sont des Bavarois. Je distingue parfaitement leurs casques à chenille.

Mais il crut comprendre que d’autres colonnes, à demi