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femme. Ces tueries me révoltent. Pourquoi ne pas s’expliquer et s’entendre ?

Jean, brave garçon, l’approuvait d’un hochement de tête. Rien également ne semblait plus facile, à lui illettré, que de tomber tous d’accord, si l’on s’était donné de bonnes raisons. Mais, repris par sa science, Maurice songeait à la guerre nécessaire, la guerre qui est la vie même, la loi du monde. N’est-ce pas l’homme pitoyable qui a introduit l’idée de justice et de paix, lorsque l’impassible nature n’est qu’un continuel champ de massacre ?

— S’entendre ! s’écria-t-il, oui ! dans des siècles. Si tous les peuples ne formaient plus qu’un peuple, on pourrait concevoir à la rigueur l’avènement de cet âge d’or ; et encore la fin de la guerre ne serait-elle pas la fin de l’humanité ?… J’étais imbécile tout à l’heure, il faut se battre, puisque c’est la loi.

Il souriait à son tour, il répéta le mot de Weiss.

— Et puis, qui sait ?

De nouveau, l’illusion vivace le tenait, tout un besoin d’aveuglement, dans l’exagération maladive de sa sensibilité nerveuse.

— À propos, reprit-il gaiement, et le cousin Gunther ?

— Le cousin Gunther, dit Henriette, mais il appartient à la garde prussienne… Est-ce que la garde est par ici ?

Weiss eut un geste d’ignorance, que les deux soldats imitèrent, ne pouvant répondre, puisque les généraux eux-mêmes ne savaient pas quels ennemis ils avaient devant eux.

— Partons, je vais vous conduire, déclara-t-il. J’ai appris tout à l’heure où campait le 106e.

Alors, il dit à sa femme qu’il ne rentrerait pas, qu’il irait coucher à Bazeilles. Il venait d’acheter là une petite maison, qu’il achevait justement d’installer, pour l’habiter jusqu’aux froids. Elle se trouvait voisine d’une teinturerie, appartenant à M. Delaherche. Et il se montrait