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entière rossée, rossée de haut en bas, de long en large !… Et, aujourd’hui, c’est nous qui serions rossés ! Pourquoi ? comment ? On aurait donc changé le monde ?

Il se grandit encore, levant son bras comme la hampe d’un drapeau !

— Tenez ! on s’est battu là-bas aujourd’hui, on attend les nouvelles. Eh bien ! les nouvelles, je vais vous les donner, moi !… On a rossé les Prussiens, rossé à ne leur laisser ni ailes ni pattes, rossé à en balayer les miettes !

Sous le ciel sombre, à ce moment, un grand cri douloureux passa. Était-ce la plainte d’un oiseau de nuit ? Était-ce une voix du mystère, venue de loin, chargée de larmes ? Tout le camp, noyé de ténèbres, en frissonna, et l’anxiété épandue dans l’attente des dépêches si lentes à venir, s’en trouva enfiévrée, élargie encore. Au loin, dans la ferme, éclairant la veillée inquiète de l’état-major, la chandelle brûlait plus haute, d’une flamme droite et immobile de cierge.

Mais il était dix heures, Gaude surgit du sol noir, où il avait disparu, et le premier sonna le couvre-feu. Les autres clairons répondirent, s’éteignirent de proche en proche, dans une fanfare mourante, déjà comme engourdie de sommeil. Et Weiss, qui s’était oublié là si tard, serra tendrement Maurice entre ses bras : bon espoir et bon courage ! il embrasserait Henriette pour son frère, il irait dire bien des choses à l’oncle Fouchard. Alors, comme il partait enfin, une rumeur courut, toute une agitation fébrile. C’était une grande victoire que le maréchal de Mac-Mahon venait de remporter : le prince royal de Prusse fait prisonnier avec vingt-cinq mille hommes, l’armée ennemie refoulée, détruite, laissant entre nos mains ses canons et ses bagages.

— Parbleu ! cria simplement Rochas, de sa voix de tonnerre.