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aucune. Son peignoir beige, à broderies de soie rouge, venait de Paris.

— Ah ! capitaine, dit-elle vivement, en serrant la main du jeune homme, que vous êtes gentil, de vous être arrêté dans notre pauvre coin de province !

D’ailleurs, elle fut la première à rire de son étourderie.

— Hein ? suis-je sotte ! Vous vous passeriez bien d’être à Sedan, dans des circonstances pareilles… Mais je suis si heureuse de vous revoir !

En effet, ses beaux yeux brillaient de plaisir. Et madame Delaherche, qui devait connaître les propos des méchantes langues de Charleville, les regardait tous deux fixement, de son air rigide. Le capitaine, du reste, se montrait fort discret, en homme qui avait gardé simplement un bon souvenir de la maison hospitalière où il était accueilli autrefois.

On déjeuna, et tout de suite Delaherche revint à sa promenade de la veille, ne pouvant résister à la démangeaison d’en faire de nouveau le récit.

— Vous savez que j’ai vu l’empereur à Baybel.

Il partit, rien dès lors ne put l’arrêter. Ce fut d’abord une description de la ferme, un grand bâtiment carré, avec une cour intérieure, fermée par une grille, le tout sur un monticule qui domine Mouzon, à gauche de la route de Carignan. Ensuite, il revint au 12e corps qu’il avait traversé, campé parmi les vignes des coteaux, des troupes superbes, luisantes au soleil, dont la vue l’avait empli d’une grande joie patriotique.

— J’étais donc là, monsieur, lorsque l’empereur, tout d’un coup, est sorti de la ferme, où il était monté faire halte, pour se reposer et déjeuner. Il avait un paletot jeté sur son uniforme de général, bien que le soleil fût très chaud. Derrière lui, un serviteur portait un pliant… Je ne lui ai pas trouvé bonne mine, ah ! non, voûté, la