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fatigue ; et, tout d’un coup, il s’abattit à son tour, foudroyé par le sommeil.

Jean, craignant de tomber lui aussi sur le pavé, s’en alla. Il s’entêtait à chercher un lit. De l’autre côté de la place, à une des fenêtres de l’hôtel de la Croix d’Or, il avait aperçu le général Bourgain-Desfeuilles, déjà en manches de chemise, tout prêt à se fourrer entre de fins draps blancs. À quoi bon faire du zèle, pâtir davantage ? Et il eut une soudaine joie, un nom avait jailli de sa mémoire, celui du fabricant de drap, chez qui était employé le beau-frère de Maurice : M. Delaherche, oui ! c’était bien ça. Il arrêta un vieil homme qui passait.

— Monsieur Delaherche ?

— Rue Maqua, presque au coin de la rue au Beurre, une grande belle maison, avec des sculptures.

Puis, le vieil homme le rejoignit en courant.

— Dites donc, vous êtes du 106e… Si c’est votre régiment que vous cherchez, il est ressorti par le Château, là-bas… Je viens de rencontrer le colonel, monsieur de Vineuil, que j’ai bien connu, quand il était à Mézières.

Mais Jean repartit, avec un geste de furieuse impatience. Non ! non ! maintenant qu’il était certain de retrouver Maurice, il n’irait pas coucher sur la terre dure. Et, au fond de lui, un remords l’importunait, car il revoyait le colonel, avec sa haute taille, si dur à la fatigue malgré son âge, dormant comme ses hommes, sous la tente. Tout de suite, il enfila la Grande-Rue, se perdit de nouveau dans le tumulte grandissant de la ville, finit par s’adresser à un petit garçon qui le conduisit rue Maqua.

C’était là qu’un grand-oncle du Delaherche actuel avait construit, au siècle dernier, la fabrique monumentale, qui, depuis cent soixante ans, n’était point sortie de la famille. Il y a ainsi, à Sedan, datant des premières années de Louis XV, des fabriques de drap grandes comme des Louvres, avec des façades d’une majesté royale. Celle de