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— Nom de Dieu ! c’était le 28 qu’il fallait foutre le camp, lorsque nous étions au Chêne !

D’autres voix expliquaient le mouvement, des nouvelles arrivaient. Vers deux heures du matin, un aide de camp du maréchal de Mac-Mahon était venu dire au général Douay que toute l’armée avait l’ordre de se replier sur Sedan, sans perdre une minute. Écrasé à Beaumont, le 5e corps emportait les trois autres dans son désastre. À ce moment, le général, qui veillait près du pont de bateaux, se désespérait de voir que sa troisième division avait seule passé le fleuve. Le jour allait naître, on pouvait être attaqué d’un instant à l’autre. Aussi fit-il avertir tous les chefs placés sous ses ordres de gagner Sedan, chacun pour son compte, par les routes les plus directes. Et lui-même, abandonnant le pont qu’il ordonna de détruire, fila le long de la rive gauche, avec sa première division et l’artillerie de réserve ; tandis que la troisième division suivait la rive droite, et que la première, entamée à Beaumont, débandée, fuyait on ne savait où. Du 7e corps, qui ne s’était pas encore battu, il n’y avait plus que des tronçons épars, perdus dans les chemins, galopant au fond des ténèbres.

Il n’était pas trois heures, et la nuit restait noire. Maurice, qui connaissait pourtant le pays, ne savait plus où il roulait, incapable de se reprendre, dans le torrent débordé, la cohue affolée qui coulait à pleine route. Beaucoup d’hommes, échappés à l’écrasement de Beaumont, des soldats de toutes armes, en lambeaux, couverts de sang et de poussière, se mêlaient aux régiments, semaient l’épouvante. De la vallée entière, au delà du fleuve, une rumeur semblable montait, d’autres piétinements de troupeau, d’autres fuites, le 1er corps qui venait de quitter Carignan et Douzy, le 12e corps parti de Mouzon avec les débris du 5e, tous ébranlés, emportés, sous la même force logique et invincible, qui, depuis le 28, poussait