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m’aimez toujours, puisque vous n’avez jamais aimé que moi…

Sa langue s’embarrassait, il ne trouvait plus les mots, secoué d’une émotion extraordinaire.

— Écoute, Silvine, si ces cochons de Prussiens ne me tuent pas, je veux bien encore de toi, oui ! nous nous marierons ensemble, dès que je rentrerai du service.

Elle se leva toute droite, elle eut un cri et tomba entre les bras du jeune homme. Elle ne pouvait parler, tout le sang de ses veines était à son visage. Il s’était assis sur la chaise, il l’avait prise sur ses genoux.

— J’y ai bien songé, c’était ce que j’avais à te dire, en venant ici… Si mon père nous refuse son consentement, nous nous en irons, la terre est grande… Et ton petit, on ne peut pas l’étrangler, mon Dieu ! Il en poussera d’autres, je finirai par ne plus le reconnaître, dans le tas.

C’était le pardon. Elle se débattait contre cet immense bonheur, elle murmura enfin :

— Non, ce n’est pas possible, c’est trop. Peut-être te repentirais-tu, un jour… Mais que tu es bon, Honoré, et que je t’aime !

D’un baiser sur les lèvres, il la fit taire. Et elle n’avait déjà plus la force de refuser la félicité qui lui arrivait, toute la vie heureuse qu’elle croyait à jamais morte. D’un élan involontaire, irrésistible, elle le saisit à pleins bras, elle le serra en le baisant à son tour, de toute sa force de femme, comme un bien reconquis, à elle seule, que personne maintenant ne lui enlèverait. Il était de nouveau à elle, lui qu’elle avait perdu, et elle mourrait plutôt que de se le laisser reprendre.

Mais, à cette minute, une rumeur monta, un grand tumulte de réveil, qui emplit l’épaisse nuit. Des ordres étaient criés, des clairons sonnaient, et toute une agitation d’ombres se levait des terrains nus, une mer indistincte et mouvante, dont le flot descendait déjà vers la