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Alors, le maréchal des logis se leva, s’approcha de la fenêtre. La nuit restait immense et noire, gonflée du souffle pénible des troupes. Mais des bruits plus sonores, des chocs et des craquements, montaient. En bas, maintenant, c’était de l’artillerie qui défilait, sur le pont à demi submergé. Des chevaux se cabraient, dans l’effroi de cette eau mouvante. Des caissons glissaient à demi, qu’il fallait jeter complètement au fleuve. Et, en voyant cette retraite sur l’autre rive, si pénible, si lente, qui durait depuis la veille et qui ne serait certainement pas achevée au jour, le jeune homme songeait à l’autre artillerie, à celle dont le torrent sauvage se ruait au travers de Beaumont, renversant tout, broyant bêtes et gens, pour aller plus vite.

Honoré s’approcha de Silvine, et doucement, en face de ces ténèbres, où passaient des frissons farouches :

— Vous êtes malheureuse ?

— Oh ! oui, malheureuse !

Elle sentit qu’il allait parler de la chose, de l’abominable chose, et elle baissait la tête.

— Dites, comment est-ce arrivé ?… Je voudrais savoir…

Mais elle ne pouvait répondre.

— Est-ce qu’il vous a forcée ?… Est-ce que vous avez consenti ?

Alors, elle bégaya, la voix étranglée :

— Mon Dieu ! je ne sais pas, je vous jure que je ne sais pas moi-même… Mais, voyez-vous, ce serait si mal de mentir ! et je ne puis m’excuser, non ! je ne puis dire qu’il m’ait battue… Vous étiez parti, j’étais folle, et la chose est arrivée, je ne sais pas, je ne sais pas comment !

Des sanglots l’étouffèrent, et lui, blême, la gorge également serrée, attendit une minute. Cette idée qu’elle ne voulait pas mentir, le calmait pourtant. Il continua à l’interroger, la tête travaillée de tout ce qu’il n’avait pu comprendre encore.