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VII


Dans Remilly, une effrayante confusion d’hommes, de chevaux et de voitures, encombrait la rue en pente, dont les lacets descendent à la Meuse. Devant l’église, à mi-côte, des canons, aux roues enchevêtrées, ne pouvaient plus avancer, malgré les jurons et les coups. En bas, près de la filature, où gronde une chute de l’Emmane, c’était toute une queue de fourgons échoués, barrant la route ; tandis qu’un flot sans cesse accru de soldats se battait à l’auberge de la Croix de Malte, sans même obtenir un verre de vin.

Et cette poussée furieuse allait s’écraser plus loin, à l’extrémité méridionale du village, qu’un bouquet d’arbres sépare du fleuve, et où le génie avait, le matin, jeté un pont de bateaux. Un bac se trouvait à droite, la maison du passeur blanchissait, solitaire, dans les hautes herbes. Sur les deux rives, on avait allumé de grands feux, dont les flammes, activées par moments, incendiaient la nuit, éclairant l’eau et les berges d’une lumière de plein jour. Alors apparaissait l’énorme entassement de troupes qui attendaient, pendant que la passerelle ne permettait que le passage de deux hommes à la fois, et que, sur le pont, large au plus de trois mètres, la cavalerie, l’artillerie, les bagages, défilaient au pas, d’une lenteur mortelle. On disait qu’il y avait encore là une brigade du 1er corps, un convoi de munitions, sans compter les quatre régiments de cuirassiers de la division Bonnemain. Et, derrière, arrivait tout le 7e corps, trente et quelques mille hommes,