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des plaintes. Elles devaient faire la guerre d’embuscade, attendre l’ennemi derrière les haies, le harceler, lui tuer ses sentinelles, tenir les bois d’où pas un Prussien ne sortirait. Et, à la vérité, elles étaient en train de devenir la terreur des paysans, qu’elles défendaient mal et dont elles ravageaient les champs. Par exécration du service militaire régulier, tous les déclassés se hâtaient d’en faire partie, heureux d’échapper à la discipline, de battre les buissons comme des bandits en goguette, dormant et godaillant au hasard des routes. Dans certaines de ces compagnies, le recrutement fut vraiment déplorable.

— Eh ! Cabasse, eh ! Ducat, continuait à répéter Sambuc, en se retournant à chaque pas, arrivez donc, feignants !

Ces deux-là aussi, Maurice les sentait terribles. Cabasse, le grand sec, né à Toulon, ancien garçon de café à Marseille, échoué à Sedan comme placier de produits du Midi, avait failli tâter de la police correctionnelle, toute une histoire de vol restée obscure. Ducat, le petit gros, un ancien huissier de Blainville, forcé de vendre sa charge après des aventures malpropres avec des petites filles, venait encore de risquer la cour d’assises, pour les mêmes ordures, à Raucourt, où il était comptable, dans une fabrique. Ce dernier citait du latin, tandis que l’autre savait à peine lire ; mais tous les deux faisaient la paire, une paire inquiétante de louches figures.

Déjà, le camp s’éveillait. Jean et Maurice conduisirent les francs-tireurs au capitaine Beaudoin, qui les mena au colonel de Vineuil. Celui-ci les interrogea ; mais Sambuc, conscient de son importance, voulait absolument parler au général ; et, comme le général Bourgain-Desfeuilles, qui avait couché chez le curé d’Oches, venait de paraître sur le seuil du presbytère, maussade de ce réveil en pleine nuit, pour une journée nouvelle de famine et de fatigue, il fit à ces hommes qu’on lui amenait un accueil furieux.