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que d’attarder les corps en marche. De nouveau, on venait de tomber dans le piège. Et, en effet, à partir de ce moment, le 106e vit sans cesse les uhlans, sur sa gauche, à chaque accident de terrain : ils le suivaient, le surveillaient, disparaissaient derrière une ferme pour reparaître à la corne d’un bois.

Peu à peu, les soldats s’énervaient de se voir ainsi envelopper à distance, comme dans les mailles d’un filet invisible.

— Ils nous embêtent à la fin ! répétaient Pache et Lapoulle eux-mêmes. Ça soulagerait de leur envoyer des pruneaux !

Mais on marchait, on marchait toujours, péniblement, d’un pas déjà alourdi qui se fatiguait vite. Dans le malaise de cette étape, on sentait de partout l’ennemi approcher, de même qu’on sent monter l’orage, avant qu’il se montre au-dessus de l’horizon. Des ordres sévères étaient donnés pour la bonne conduite de l’arrière-garde, et il n’y avait plus de traînards, dans la certitude où l’on était que les Prussiens, derrière le corps, ramassaient tout. Leur infanterie arrivait, d’une marche foudroyante, tandis que les régiments français, harassés, paralysés, piétinaient sur place.

À Authe, le ciel s’éclaircit, et Maurice, qui se dirigeait sur la position du soleil, remarqua qu’au lieu de remonter davantage vers le Chêne, à trois grandes lieues de là, on tournait pour marcher droit à l’est. Il était deux heures, on souffrit alors de la chaleur accablante, après avoir grelotté sous la pluie, pendant deux jours. Le chemin, avec de longs circuits, montait au travers de plaines désertes. Pas une maison, pas une âme, à peine de loin en loin un petit bois triste, au milieu de la mélancolie des terres nues ; et le morne silence de cette solitude avait gagné les soldats, qui, la tête basse, en sueur, traînaient les pieds. Enfin, Saint-Pierremont ap-