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une pomme de terre. Ça lui suffisait. On verrait plus tard.

Vers dix heures, de nouveau, le 7e corps s’ébranla. L’intention première du maréchal avait dû être de le diriger par Buzancy sur Stenay, où il aurait passé la Meuse. Mais les Prussiens, gagnant de vitesse l’armée de Châlons, devaient être déjà à Stenay, et on les disait même à Buzancy. Aussi, refoulé de la sorte vers le nord, le 7e corps venait-il de recevoir l’ordre de se rendre à la Besace, à vingt et quelques kilomètres de Boult-aux-Bois, pour aller de là, le lendemain, passer la Meuse à Mouzon. Le départ fut maussade, les hommes grognaient, l’estomac mal rempli, les membres mal reposés, exténués par les fatigues et les attentes des jours précédents ; et les officiers assombris, cédant au malaise de la catastrophe à laquelle on marchait, se plaignaient de l’inaction, s’irritaient de ce qu’on n’était pas allé, devant Buzancy, soutenir le 5e corps, dont on avait entendu le canon. Ce corps devait, lui aussi, battre en retraite, remonter vers Nouart ; tandis que le 12e corps partait de la Besace pour Mouzon, et que le 1er prenait la direction de Raucourt. C’était un piétinement de troupeau pressé, harcelé par les chiens, se bousculant vers cette Meuse tant désirée, après des retards et des flâneries sans fin.

Lorsque le 106e quitta Boult-aux-Bois, à la suite de la cavalerie et de l’artillerie, dans le vaste ruissellement des trois divisions qui rayaient la plaine d’hommes en marche, le ciel de nouveau se couvrit, de lentes nuées livides, dont le deuil acheva d’attrister les soldats. Lui, suivait la grande route de Buzancy, bordée de peupliers magnifiques. À Germond, un village dont les tas de fumier, devant les portes, fumaient, alignés aux deux côtés du chemin, les femmes sanglotaient, prenaient leurs enfants, les tendaient aux troupes qui passaient, comme pour qu’on les emmenât. Il n’y avait plus là une bouchée de pain ni même une pomme de terre. Puis, au