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C’était ce que Maurice répétait à Weiss.

— Ah ! on leur a sûrement aujourd’hui allongé une fameuse raclée !

Sans répondre, Weiss hocha la tête d’un air soucieux. Lui aussi regardait du côté du Rhin, vers cet Orient où la nuit s’était déjà complètement faite, un mur noir, assombri de mystère. Depuis les dernières sonneries de l’appel, un grand silence tombait sur le camp engourdi, troublé à peine par les pas et les voix de quelques soldats attardés. Une lumière venait de s’allumer, une étoile clignotante, dans la salle de la ferme où l’état-major veillait, attendant les dépêches qui arrivaient d’heure en heure, obscures encore. Et le feu de bois vert, enfin abandonné, fumait toujours d’une grosse fumée triste, qu’un léger vent poussait au-dessus de cette ferme inquiète, salissant au ciel les premières étoiles.

— Une raclée, finit par répéter Weiss, Dieu vous entende !

Jean, toujours assis à quelques pas, dressa l’oreille ; tandis que le lieutenant Rochas, ayant surpris ce vœu tremblant de doute, s’arrêta net pour écouter.

— Comment ! reprit Maurice, vous n’avez pas une entière confiance, vous croyez une défaite possible !

D’un geste, son beau-frère l’arrêta, les mains frémissantes, sa bonne face tout d’un coup bouleversée et pâlie.

— Une défaite, le ciel nous en garde !… Vous savez, je suis de ce pays, mon grand-père et ma grand’mère ont été assassinés par les Cosaques, en 1814 ; et, quand je songe à l’invasion, mes poings se serrent, je ferais le coup de feu, avec ma redingote, comme un troupier !… Une défaite, non, non ! je ne veux pas la croire possible !

Il se calma, il eut un abandon d’épaules, plein d’accablement.

— Seulement, que voulez-vous ! je ne suis pas tran-