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Pas un homme ne rigola. C’était vexant tout de même, du café sans sucre ; et encore si l’on avait eu du biscuit ! La veille, sur le plateau de Quatre-Champs, presque tous, pour tromper l’attente, avaient achevé les provisions de leurs sacs, croquant jusqu’aux miettes. Mais l’escouade, heureusement, retrouva une douzaine de pommes de terre, qu’elle se partagea.

Maurice, l’estomac délabré, eut un cri de regret.

— Si j’avais su, au Chêne, j’aurais acheté du pain !

Jean écoutait, demeurait silencieux. Au lever, il avait eu une querelle avec Chouteau, qu’il voulait envoyer à la corvée du bois, et qui s’y était refusé insolemment, disant que ce n’était pas son tour. Depuis que tout allait de mal en pis, l’indiscipline augmentait, les chefs finissaient par ne plus oser faire une réprimande. Et Jean, avec son beau calme, avait compris qu’il devait effacer son autorité de caporal, s’il ne voulait pas provoquer des révoltes ouvertes. Il s’était fait bon diable, il semblait n’être que le camarade de ses hommes, auxquels son expérience continuait à rendre de grands services. Si son escouade n’était plus si bien nourrie, elle ne crevait tout de même pas encore de faim, comme tant d’autres. Mais la souffrance de Maurice, surtout, l’attendrissait. Il le sentait s’affaiblir, il le regardait d’un œil inquiet, en se demandant comment ce garçon frêle ferait pour aller jusqu’au bout.

Lorsque Jean entendit Maurice se plaindre de n’avoir pas de pain, il se leva, disparut un instant, revint après avoir fouillé dans son sac. Et, en lui glissant un biscuit :

— Tiens ! cache ça, je n’en ai pas pour tout le monde.

— Mais toi ? demanda le jeune homme, très touché.

— Oh ! moi, n’aie pas peur… J’en ai encore deux.

C’était vrai, il avait gardé précieusement trois biscuits, pour le cas où l’on se battrait, sachant qu’on a très faim sur les champs de bataille. D’ailleurs, il venait de manger