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trouvait, avait un horizon démesuré. Je me sentais hors du monde, presque dans la mort ; je ne songeais plus que je pusse un jour descendre dans la rue dont le bruit montait jusqu’à moi, & j’avais si peu conscience de la vie, qu’il m’était venu la pensée de vivre sans manger. Il me semblait que Laurence & moi, nous étions autre part, perdus, séparés des vivants, transportés dans un coin inconnu au-delà des temps & des espaces. Nous n’aurions pas été plus seuls au fond de l’infini.

Un soir, comme le crépuscule venait, emplissant la chambre d’une ombre transparente, je marchais avec lenteur, allant toujours de la porte à la fenêtre. Dans l’obscurité croissante, je voyais la tête pâle de Laurence, posée sur ses cheveux noirs dénoués ; ses yeux sombres avaient de vagues reflets, & elle me regardait ainsi, fortement, belle de souffrance. Je me suis arrêté, je l’ai contemplée. Je ne sais ce qui s’est passé en moi ; ma chair a été se-